Poème en esclavage

La rouquine débarqua dans la salle désignée.
En robe de soirée, elle était habillée.

Faisant le tour des sièges, quelques-uns de ses gens,
donnèrent à l’envi le texte qu’elle s’apprêtait
à déclamer de tête devant les commandants.
La rouquine parla quand le silence fut fait.

« |||Aïle, mes chers concitoyens de Paradoxe… Voyons, une minute ; la dénomination de concitoyens ne sied bien évidemment à aucun de vous, natifs de cette magnifique galaxie, que dis-je ?…
Etant consciente de la chance que j’ai de me trouver parmi de si beaux et si glorieux esprits, si éclais et si combattifs, je vais tenter - autant que me le permet mon maigre cervelet - de dresser le p
|||ortrait dithyrambique et bien entendu sincère (qui oserait en douter ?…) que l’on m’a si gentiment imposé de composer sur les hôtes du coin et de celui qui voulut bien s’abaisser jusqu’à ouvrir sa bourse pour m’avoir près de lui.
Zénith pernicieux, dieu vicieux, et phénix de ces lieux, je ne puis commencer mon encensoir sans citer prestement notre odieux Alderak. Voici bien un cruel et pernicieux hôte que ce saigneur. Oui, lui seul, de toutes les galaxies que j’ai traversé jusqu’à présent, sut élever au rang d’art le crime et l’infamie (le Joker ne comptant pas dans ce classement étant un cas à part). Unique en son genre, le maître de cette galaxie sait imposer son style et sa grandeur. Sa mise en scène de chacune de ses interventions semble millimétrée. Voir cet être grandiose daigner se présenter à nous, nous donnant quelques-uns de ses cruels ordres dont il a le secret, puis repartir sans laisser à ses interlocuteurs la possibilité de lui répondre… Réellement, quel courage !! Avoir autant de cran, de maîtrise de la dialectique et demander à nous autres, humbles réfugiés, d’essayer de rivaliser avec son génie de la langue… Il n’en fallait pas plus pour mortifier la plupart d’entre nous, nous réduisant au silence devant tant d’éloquence.
Mais qu’à cela ne tienne : puisqu’à ce sort nous sommes réduits, nous devons nous en accommoder. Eblouie, pour ma part, par tant de qualités dont il n’a sûrement nulle conscience, je mis un moment à me résoudre à prendre la parole pour en faire l’éloge. Naturellement, comprenez-moi ? Tant de cruelles bontés chez cet être… Comment choisir par laquelle commencer ? Réduite à néant par une telle question, je ne peux me contenter que d’énoncer des banalités. Unissant mes forces, j’ai bien tenté de citer au moins l’une de ses qualités...
Néanmoins, terrassée à l’idée de devoir choisir, je dus bien me résoudre à devoir renoncer. Et maintenant encore, devant vous, il me semble que sa gloire se suffit à elle-même et que je ne suis rien, ni personne, pour vous la dévoiler. Simplement, ouvrez les yeux, contemplez-le bien. Examinez bien cet être cruel, dépourvu d’empathie. Réussirez-vous à percer le voile noir dans lequel il s’entoure ? Adroit artifice derrière lequel il se cache, se dérobant à votre vue, dissimulant tant qu’il peut ce qu’il est réellement. Il suffirait d’un rien… Très fragile est son armure. Cassez cette carapace, fermez les yeux pour mieux le voir. Et comprenez enfin que la peur est son territoire. Qu’il suffit de la refuser pour ne point lui appartenir. Un instant, fugace, pendant lequel vous laissez l’effroi vous envahir, et… Un instant, fugace, dans lequel il s’engouffrera, cristallisant vos peurs. N’y cédez point, si tel est votre souhait. Il vous suffit de rire. N’importe quand, n’importe où. Souffrir n’est pas une fatalité. Tant que vous serez vivant, rien ne peut vous détruire. Au plus, on peut vous pourchasser, vous attaquer, tenter de réduire à néant ce que vous êtes… Ne cédez pas à la peur et ces tentatives seront vaines. Toutefois, je ne sais pourquoi l’un de vous ne voudrait se soumettre, mais son pouvoir est là : peur, angoisse, effroi, souffrance ; alors, n’y cédez point, d’autres lieux vous attendent. »

La jeune femme ferma les yeux un instant, laissant ses dernières paroles flotter dans l’air. Puis elle releva légèrement la tête et un sourire radieux se dessina sur ses lèvres.

« |||Qu’il est doux de vanter les puissances du seigneur ! Ultime plaisir qu’il me reste, mes flottes étant bloquées, sans possibiliaucune pour mon peuple de rejoindre ces riantes contrées sans risquer de se faire écharper...
Or, je ne peux décemment pas vanter les mérites de ce cruel maître autoproclamé, sans parler de sa modeste et taiseuse suivante : la douce Louise, dont le nom seul suffit à réjouir et éclairer mon âme. Nulle autre femme n’a su i
|||llustrer mieux qu’elle la puissance de la Guilde. Pour cette raison, je ne puis m’empêcher de glorifier et de porter son nom aux nues, afin que l’éternité ne puisse l’oublier. Oubli qui serait tout simplement incompréhensible. Un physique a faire tomber n’importe quel prêtre sous le coup du pêché de convoitise. Valant bien mieux que toutes les traîtresses que j’ai pu croiser jusqu’à présent (Harley Quinn ne faisant pas partie du classement, jouant elle aussi hors catégorie).
Ainsi, je n’ai pu que l’observer de loin, buvant ses rares paroles, n’osant l’aborder, n’osant lui parler, n’osant l’approcher de peur de me brûler à la flamme d’une si vive intégrité. Il me fallut donc rester à l’écart, me contentant de me rêver une vie à ses côtés. Toutes proportions gardées, bien entendu. Me contenter de la servir aurait déjà éclairé mes nuits si sombres. Eblouie par sa lumière et son honneur. Baiser ses mains reste pour moi, et restera à jamais, un désir inassouvi. Risible est ma condition. Imaginer est le seul espoir qu’il me reste.
Ses vœux et ses volontés ne me seront point imposés. Et je ne peux que soupirer devant la chance qu’ont mes compagnons d’infortune de devoir faire son éloge… Rayonnante et pusillanime, ses choix se sont portés sur d’autres et je ne peux l’en blâmer. Et qui suis-je, de toute façon, pour ne serait-ce qu’imaginer la blâmer pour quoi que ce soit ? Tellement de choses me restent à apprendre pour arriver à sa hauteur. Mais ses yeux se sont portés sur d’autres, et je doute même qu’elle connaisse mon existence. Encore faut-il me réjouir d’arpenter les mêmes couloirs qu’elle. Fatalement, un jour béni, son regard croisera le mien. Alors, je souhaite de tout mon cœur n’y point lire de mépris. Illusion que cela ! Rester dans l’attente d’un regard, d’un geste… Et savoir malgré tout que cette attente est vaine. Pour ma satisfaction, en une telle occasion, j’y souhaiterai un sourire... L’étincelle bienveillante au fond de ses doux yeux. Illusion, encore. Evidemment. Rejeter de telles pensées, ne peut que me sauver. »

Olorìn en disant ces mots, s’était approchée petit à petit de la loge que devait occuper la commandante Parcimonia. Les yeux plongés au fond des siens. Les mots lui venant naturellement, comme si chacun ici n’en avait une copie.
Elle fit volte-face tout à coup et sa voix se fit plus forte.

« |||Finalement, j’en viens à celui qui me sort de ma condition d’être libre, me jetant ainsi dans celle d’esclave… Il me faut bien le remercier, étant le premier à m’avoir demandé. Et comment ne pas reconnaître sa bonté ? Roi déchu de cette galaxie, il fut au sommet bien avant le seigneur. Et partagea son temps avec la douce Louise… Et j’en reviens à elle, encore, alors que je ne devrais. Tous ces regre|||ts de ne l’avoir accompagnée… L’éloge qu’on me demande eût été bien facile, si sa personne en eût été l’objet !! Il ne faut point m’en tenir rigueur, chers maîtres, mais sa beauté efface tout à mon esprit. Bien que ne sachant manier les rimes de manière honnête, peut-être aurais-je pu, en me creusant la tête, y trouver quelques vers dignes d’un grand poète. Rarement, l’inspiration me vient. Et pourtant...
J’aurai pu, il est vrai, déclamer un sonnet.
Et passer pour une quiche, produisant un pastiche…
Si mauvais, un navet, quand je vois les sommets
Uniques et si riches, qu’Alexia nous affiche.
Il me fallait au moins, pour la concurrencer
Sachant que mon talent n’égale point le sien,
Ecrire pour votre gloire, et pour me démarquer,
Trois poèmes en tout en lieu et place d’un.
Ainsi ferais-je, ainsi ai-je fait. Ils ne seront peut-être pas à la gloire de ses yeux, ni de sa bouche, ni de ses formes, si parfaites que seule Harley ne peut en rougir. Néanmoins, je m’acquitte de cette tâche : poétiser. Seuls quelques uns sauront y voir clair. Il ne faut pas me faire d’illusions, et je ne m’en fais donc point. Resteront en surface ces quelques mots flatteurs, et mes vers resteront à jamais oubliés. Et aurai-je de la chance, s’ils sont même découverts. Sûrement dès demain, que dis-je, dès l’instant, la cité propagera la rumeur de ma chute. Totale pour certains, partielle pour d’autres. Et l’impression fugace que la grande Olorìn a fini par plier… Revenir à mon sujet, cependant, je me dois. Aduler les cruels seigneurs de ces lieux, je m’y suis engagé. Il faut donc, pour m’être fidèle, respecter ma parole. »

Si sa voix s’était faite murmure quand elle déclama son poème, la rouquine retrouva toute son emphase en reprenant son texte.

« |||Et revenons donc à ce bon Alen…
Naturellement si fin, notre doux fédéré ne saurait quitter très longtemps cette ode à la gloire de… De… Et bien de ces hôtes chéris que sont vos éminences. Ultimes paroles, rassurez-vous, de ce long encensement, et chassant de ma tête les images de Louise que mes mots ont fait naitre, il va bien falloir que je vous entretinsse de cette belle personne qui voulu bien me prendre.
Xénophile ignoré, et allant à l’encontre de la xénophobie ambiante, et des deman
|||des de xénélasies répétées, il détacha les cordons de sa bourse et fit tinter quelques piécettes afin de nous avoir, Iria et moi-même, à ses côtés. Malheureusement pour lui, il acquit ainsi une amazone farouche qui ne se pliera point au jeu, et une indépendante qui, pour son ex-compagne, brûle de mille feux.
Obnubilé par la belle avant que je n’arrive, il prouve donc qu’il excelle dans ses choix féminins. Tant de choses sombres, et méchantes, et cruelles, et peut-être même erronées, m’ont été rapportées sur ses faits, sur ses gestes, sur ses paroles et ses intentions que cela prouve que par son génie de la dissimulation, il se mit au centre des conversations. Si seulement…
Si seulement il savait se servir d’un appareil basique de communication !
Elle serait encore à ses cotés, peut-être, et la galaxie aurait à sa tête non pas un, mais deux cerveaux exemplaires. Uchronie que cela, et rien ne garantit que les choses ainsi se seraient déroulées. Lassée de cette attente, notre douce brebis préféra donc le loup et déserta son lit. Esseulé et contrit, notre âme en peine chercha le réconfort au sein d’une ironie qui ne dissimule point sa douce mélancolie. Mais qui pourrait lui en vouloir ? Encore une fois, cela ne fait que confirmer sa bonté.
Notre amoureux déchu voulant taire sa rancœur ne fait que dévoiler le fond de son humeur. Torse bombé et ricanement en coin, je ne peux m’empêcher de voir l’oiseau blessé. J’espère qu’il ne m’en voudra pas de dévoiler cela. Etre à ses côtés changera peut-être cela. Dois-je donc pour autant le juger maintenant ? Ici, à ce moment, je vante ses mérites. Redresse son prestige. Acclame sa droiture. Illumine sa nature. Seulement voilà. Il est bientôt temps de nous quitter. Mais il reste tellement à dire. Pourtant je vois déjà les yeux larmoyants de fatigue des deux du derniers rangs. Les meilleures choses ont une fin et encenser ces êtres si supérieurs à nous m’a fait perdre la notion du temps. Evidemment, je ne peux vous quitter sans rappeler à vos cerveaux embrumés la grandeur de nos hôtes et leur intégrité. Mais à quoi bon répéter ce que déjà j’ai suriné ? Entre l’Alderak saigneur, et l’Alen séducteur, je ne peux oublier ma Louise enjôleuse. Noble esprit. Tendre dame... »

Sur ces mots, et conformément à la didascalie inscrite sur les livrets distribués, Ruby pénétra l’enceinte close, fracassant en un geste les double portes en chêne. Flamboyante, vêtue d’une robe rouge, ses cheveux de flammes cascadant sur ses épaules, elle rayonnait. Sa voix grave et pourtant enjouée s’éleva jusqu’à la voûte. Elle s’amusait visiblement beaucoup.

« Fais chier ‘vec tes discours !! Un poème, on te demande, pas une encyclopédie, merde. Cassons-nous d’ici, t’en as assez dit. Kabbale que ceci. A nos dépends, ce crétin s’amuse. Laisse-le donc pérorer. Deux lignes t’aurais pu pondre. Et rien n’aurait changé. Rassemble tes affaires et rentrons au chalet. Adios les potos, ou plutôt… Kénavo ! »

Sur ces derniers mots, les deux jeunes femmes se fendirent d’une révérence et repartirent de la salle, bras dessus, bras dessous.
Tandis que les commandants circonspects découvraient les deux vers étranges en guise de post-sriptum (« Vous ne tiendrez pas compt' de la ponctuation, Des phrases bicolores pour voir la solution. »), les portes se refermèrent doucement.
Et juste avant qu’elles ne scellent le lieu, on put entendre alors deux rires n'en formant qu'un, enfantin, cristallin.